We Fade To Grey. And the audience is now deaf.
C’est l’automne, il est minuit. Dehors tout est calme, silencieux, immobile. A -6°C le ciel est limpide, sans lune, sans nuages. La nuit est saupoudrée d’étoiles mystérieuses, et, à moins de garder les yeux baissés, il est impossible de ne pas les voir. C’est pourtant là un spectacle usuel et pour presque tous invisible. A l’image des SDF qui vont mourir ce soir. Entre l’éther et les abysses il n’y a qu’un mot. Humain.
Dans les foyers la lumière rayonne par sa chaleur car l’astre dominant s’est levé. C’est l’anti-midi de Zarathoustra. L’heure la plus chaude de la journée pendant laquelle nous vouons notre culte à l’étrange soleil deux ex machina, à mi chemin entre une potence et un four à micro-ondes.
Confortablement installé dans notre bulle moite, c’est une petite voix qu’on entend sans écouter. Sans effort, sur un fond de mélopée consumériste et philodoxique elle nous réchauffe le cœur par son chant cathartique. « Il y a pire » nous dit-elle, alors on se console en scrutant la misère en haute définition. C’est le MP3 de notre société, formaté, compressé et purgé de tout débordement qui aurait le malheur de former une oreille attentive aux silences.
« We fade to grey« , tout devient gris. La télévision est un prisme inversé qui recompose l’arc-en-ciel de la vie en un faisceau quasi incolore.
Grâce à lui, on rit beaucoup c’est vrai. Mais jamais pour de bonnes raisons. Car il est difficile de concevoir quelque chose de plus tragi-comique, qu’une course hors d’haleine à la couleur, la définition, le relief et le contraste ne conduisant en fin de compte qu’à l’apologie du gris et du muet.
L’ironie, c’est le bond en arrière par le pas en avant ! Durant toute l’histoire de l’humanité, hormis l’écriture, la télévision est l’outil qui a permis la plus large diffusion des débats et de la libéralité. Pourtant en 2011, c’est 1914-18.
Dans les cercles sociaux : ami, famille, entourage proche ou lointain tout devient propice au débat et à l’échange d’opinion. Et ce d’autant plus depuis la démocratisation de l’accès à l’internet. Cependant devant l’explosion des NTIC et de la passion populaire pour les sujets de société, il semble qu’il y ait également une certaine généralisation d’un facteur rétrograde dans les échanges.
Mais l’inquiétant n’est pas là. Ce qui choc, c’est la constante qui existe entre entre l’exposition et la production. C’est comme si, plus le 3D est vrai, plus les couleurs sont belles et le son est prenant… plus on est sourd, aveugle et uniquement capable de penser en gris.
Qu’est ce qu’un débat ? C’est une manifestation encadrée d’opinions diverses visant à promouvoir la discussion et l’échange d’idées (parfois contraires) sur un thème commun. Si tel serait la définition d’un débat, alors ce dernier, aujourd’hui, n’existe pas.Dans le pays Des Droits de l’Homme et de la libre pensée, celui de la philosophie et de la littérature autant que de la politique, il est intéressant de voir à quel point pèse l’héritage militaire…le « syndrome Pétain ».
2011, c’est 14-18. Une discussion n’est plus un débat, c’est systématiquement un conflit, une guerre de tranchés où chaque partie campe sur ses positions en bombardant ses obus rhétoriques. Pas d’arguments, pas d’échanges, pas de sens. C’est le Titanic face aux icebergs dans un triptyque en 3D.
Déjà souffle le vent de la critique, « Fou de Lear, tu n’es qu’un réac’ « ! Quand bien même cela serait vrai, je ferai simplement remarquer qu’il est étrange de cautionner un divertissement/discussion qui exclut de principe les voyants.
…THE AUDIENCE IS NOW DEAF !